intention

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Cette note d’intention fait suite au texte qu’est ce que (se) présenter ? écrit à l’occasion de notre changement de nom.

découvrir formellement le cœur technique des productions

Que faire de ce qu’on ne peut pas strictement et complètement présenter ? Faut-il se résigner à ne rien en dire et ne rien en montrer ? L’architecte Philippe Rahm propose une réponse sur son site web .

Il ne peut pas y présenter strictement – im-médiatement, sans médiation – ses bâtiments. Plutôt que de faire comme si de rien n’était et de montrer des images de synthèse dites « photo-réalistes », les images de Philippe Rahm exposent ce qui ne se ver- raient pas autrement. Elles ne sont pas re-dondantes, re-présentatives, ni imitatives. Elles découvrent diverses mesures climatiques de l’humidité, des températures, des lumières, des mouvements atmosphériques… Les phénomènes thermodynamiques au cœur des productions de Philippe Rahm organisent la rubrique Work de son site web.

Quels sont les opérations au cœur de notre travail ? Dans cet esprit, nous pourrions organiser notre travail d’après les principes de (dé)réglabilité, (dé)codabilité, réparabilité etc.

analyser, mettre à plat, décomposer

Un site qui se contenterait de reproduire[1] des faits présents par ailleurs serait déjà utile en ce qu’il les rapprocherait en son sein. Le rapprochement permet une appréciation d’ensemble de faits éparpillés, des opérations de comparaisons et de distinctions. Un tel site est déjà généreux, qui apporte la possibilité d’une autre expérience des faits, d’une expérience d’ensemble. Une telle présentation est généreuse dans sa retenue, plus généreuse qu’une représentation communicante en ce qu’elle nous offre les faits presque nus et nous permet à la fois de les penser ensemble et par nous-mêmes. Peut-on faire encore plus généreux, enrichir encore les possibilités d’expérience des faits sans pour autant en recouvrir la présence – sans recourir à la représentation ?

Analyser signifie défaire (ana) les liens (luo). Analyser une technique consiste à défaire la composition, à décomposer. Défaire un fait n’est pas le recouvrir : la décomposition découvre les composants techniques, formels et fonctionnels au cœur du fait. Elle est une manière de détailler – de dé-tailler, de dé-couper – une présence. Il s’agit pour nous de détailler la praticabilité, c’est-à-dire de la découper en morceaux de présence. Par exemple, au sein de l’ outil fait pour le TMNlab , le principe de (dé)compo- sabilité se traduit notamment par l’interaction de collecte, celui de (dé)atachabilité par celle d’export d’éléments de l’étude. Qu’est-ce que serait une présentation des principes mis en œuvre analogue à la démarche de Philippe Rahm ? Un tentative perfectible de réponse par la présentation de la collecte comme pratique de (dé)composition :

La proximité spatio-temporel entre deux phénomènes – la contiguïté[2] – produit dans l’esprit qui les perçoit une « espèce d’unité » constitutive de la rationalité. Dans cette image, les traits rouges signifient des contiguïtés rompues et le trait vert une contiguïté créée par l’opération de collecte. Tandis qu’ils participent fondamentalement du processus de constitution de la connaissance, les effets de contiguïté sont la plupart du temps inaperçus. Cette image n’en représente pas une autre, elle tente de permettre d’apercevoir une part généralement in-aperçue de l’expérience[3]. Elle présente dans le champs visuel une opération invisible et pourtant déterminante du point de vue de la connaissance.

La collecte comme pratique de (dé)composition

[1] Une opération conceptuelle de l’Art à l’époque de sa reproduction mécanisée de Walter Benjamin est de distinguer entre la reproduction et la représentation.

[2] Voire les travaux de David Hume dans son Enquête sur l’entendement humain, qui comprend la contiguïté comme l’un des 3 principes de connexion des idées qui fondent toute connaissance.

[3] On doit encore à Pierre-Damien cette différence entre percevoir et apercevoir, mot qu’il propose de comprendre à peu près comme percevoir consciemment.

mettre à jour l’envers

L’espace technique est couramment partagé en deux. Dans le champ de la technique théâtrale, les parts s’appellent coulisse et scène. Dans le champs de l’artisanat, atelier et boutique. Dans le champ de l’industrie, usine et (super)marché. Dans le champ du web, back et front. Du point de vue de la connaissance de la technique, ce partage n’est pas égal. D’un côté on en sait beaucoup, de l’autre on en sait peu, juste ce qu’il faut pour s’en servir l’âme en paix. L’entretien de cette sérénité à un revers, elle entretien en même temps l’ignorance des procédures techniques qui sous-tendent les services. On utiliserait peut-être plus volontiers d’autres techniques si leurs conditions de fonctionnement s’effaçaient moins dans leurs mises en scène.

En tant que studio de design, nous pouvons contribuer concrètement à améliorer cette situation :

  • en préférant les expositions claires aux mises en scène et mystifications
  • en montrant les coulisses, les codes et les backoffices
  • en amenant des capacités techniques de l’arrière (back) à l’avant (front), notamment des capacités d’écriture puisqu’elles sont généralement réservées à l’arrière, dans le secret de la remise
  • en réduisant la différence entre le back et le front, voire en la supprimant

Techniquement, rien n’oblige cette séparation qui maintient dans l’ignorance et l’incapacité cette partie de l’humanité qu’on appelle du pauvre nom d’usagers. Les éditeurs dit WYSIWYG , dont les accès sont malheureusement en général limités aux propriétaires des sites, montrent un rapproche- ment possible du back et du front. Le projet de navigateur Bluesky (anciennement initulé Beaker) fait une proposition plus radical encore en fusionnant le navigateur et l’éditeur de code.

donner forme à l’égalité

Celui qu’on appelle « le premier venu » n’est personne en particulier. Le « numéro un », à la tête d’une course ou d’une organisation, en revanche, n’est pas n’importe qui. En guerre, le premier venu, l’anonyme, sera le plus souvent en première ligne, voué à mourir d’abord, lui dont la vie est supposée de dernière importance. À la première place, d’où s’exerce un certain commandement, en revanche, la vie est moins risquée. « Premier » se dit en plusieurs sens, de valeurs variées, de sorte qu’il n’est pas toujours bon d’être premier.

L’ambigüité contenu dans notre notion de primauté ne date pas d’aujourd’hui. Le latin princeps pouvait désigner aussi bien les soldats de première ligne de la formation en phalange (appelés les principes) que ceux qu’on appelle encore les princes – mot que, dans le milieu latin, on entendait sans doute plus nettement comme désignant une espèce particulière de premiers. Plus tôt dans l’histoire, la signification du vieux grec arkhè (ancêtre de notre archi-, qui donne archi-tecture mais aussi an-archie et hiér-archie) oscillait selon les déclinaisons entre « commencement » (arkhègéteuo) et « commandement » (arkhègéteo). Encore dans le champs guerrier, le langage d’aujourd’hui semble à peine plus clair, qui distingue métaphoriquement le front (la première ligne) de la tête (le chef) de l’armée. Le front et la tête ne sont pas des parties du corps strictement séparées mais enfin elles ne se confondent pas : le front est à l’avant de la tête. À cette place, il est exposé aux coups dans la figure. Le front est dur, il protège un cerveau qu’on pense volontiers comme le commandant des opérations du corps, premier cette fois dans l’ordre des causes de ses faits et gestes.

En jeu dans tout ce vocabulaire – le nôtre et celui de nos ancêtres qui ne sont pas si loin – un problème qui change de forme sans jamais se régler pour de bon. Aujourd’hui, on dirait un problème d’ordre. Ordonner signifie à la fois agencer et commander. Un ordre désigne à la fois une disposition et une obligation. Ici encore l’ambigüité demeure, avec davantage d’évidence. Les dictionnaires séparent les sens. Mais sommes-nous capables de parler d’ordre sans impliquer si peu que ce soit le sens du commandement ? Donner un ordre, agencer, obliger, est une manière de produire une modification qui ne se produit pas d’elle-même. Ce serait en effet un prince bien inutile, bien comique même, que celui qui donnerait aux choses l’ordre d’être ce qu’elles sont. Ordonner, c’est imposer un ordre. Se régler soi-même est une traduction littéral possible de l’autonomie. Régler quelqu’un ou quelque chose d’autre en est une de l’hétéronomie.

En pratique, nous ne distinguons d’ailleurs guère plus clairement qu’en parole : nous peinons à produire des organisations non hiérarchiques[4]. Quiconque tient peu ou prou à l’égalité éprouve plus ou moins gravement ce problème commun, banal. D’un champs à l’autre, ses manifestations varient mais il se pose en termes semblables sinon identiques de composition, c’est-à-dire de positions, de taille, de couleur, de mouvement, de durée. Au football, pour rétablir le jeu, on remet la balle au centre. En temps de campagne présidentielle démocratique, on compte les temps de parole.

[4] Mot lui-même tributaire de l’ambigüité de l’arkhè grec.